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Son plan paraissait à première vue sans faille. Elle projetait de retrouver ses parents, ou tout au moins d’apprendre ce qu’ils étaient devenus. Entre-temps, il lui faudrait gagner sa vie et, pour cela, obtenir un emploi qui lui permettrait de réaliser ses deux objectifs. Elle ne tarda guère à le trouver.

À Manhattan, au bord de l’East River, les vieux bâtiments des Nations unies abritaient désormais l’organisation qui leur avait succédé : le Conseil des Mondes. En plus de la Terre, les mondes en question comprenaient les stations orbitales ainsi que les lunes et les planètes colonisées placées sous l’influence des coalitions mouvantes des nations terrestres. Les traités historiques de l’O.N.U. interdisant toute revendication territoriale dans l’espace étaient toujours honorés à la lettre, sinon dans l’esprit ; comme les océans terrestres, le système solaire n’était pas délimité par des frontières matérielles mais ses ressources revenaient à ceux qui pouvaient les exploiter.

Au sein des plus importants services bureaucratiques du Conseil des Mondes on trouvait en conséquence un Bureau du Contrôle spatial, dont le rôle consistait à édicter et à faire respecter les règles de sécurité, les fréquences et les dates des appareillages, les restrictions au trafic des marchandises et aux déplacements des individus. Cet organisme avait à sa disposition d’immenses banques de données, des laboratoires ultramodernes, une flottille de vaisseaux rapides aux coques blanches armoriées d’une bande bleue diagonale et d’une étoile dorée, ainsi qu’une armée d’inspecteurs bien entraînés et fortement motivés.

Le Bureau spatial employait également des milliers de personnes n’appartenant pas à cette élite, de simples techniciens, bureaucrates et administrateurs disséminés dans les stations spatiales et les corps célestes habités du système solaire. Mais ils étaient pour la plupart concentrés à Terre Central, à proximité du quartier général du Conseil des Mondes, dans l’île de Manhattan.

Bien que ce bureau fût central à l’échelle interplanétaire, ses fonctions administratives se dispersaient dans toute la ville. Le curriculum vitae d’Ellen Troy, une jeune femme de vingt et un ans, était si élogieux qu’elle n’eut aucune difficulté à obtenir un poste au sein de cet organisme. Le listing du fichier de ses études dans un lycée de Queens puis au Flushing Meadow College of Business, où elle était censée avoir obtenu son diplôme un an plus tôt, démontrait ses aptitudes à traiter les textes autant que les données. Le certificat de travail de la société qui l’avait selon elle embauchée à la fin de ses études, la Manhattan Air Rights Development Corporation, malheureusement disparue entre-temps, précisait en outre qu’elle entrait dans la catégorie des employées modèles. Ellen passa sans difficulté l’examen d’admission et se retrouva au poste qu’elle souhaitait occuper et qui lui offrait l’accès au plus important de tous les réseaux informatiques du système solaire. Elle possédait désormais une nouvelle identité et une autre apparence : ses cheveux n’étaient plus bruns, son visage avait acquis quelques rondeurs, ses lèvres ne restaient plus perpétuellement serrées et s’entrouvraient constamment sur sa denture parfaite, et elle bénéficiait surtout de l’anonymat offert par un système bureaucratique où elle figurait en tant que simple matricule.

Son plan était à la fois audacieux et prudent, simple et compliqué. Elle comptait obtenir un maximum d’informations dans l’inépuisable stock de données du Bureau spatial, puis faire tout son possible pour obtenir un insigne d’inspectrice. Ensuite, elle aurait les coudées franches…

On ne répertoriait dans son projet que quelques difficultés mineures. Elle savait à présent qu’au cours de sa dix-huitième année d’existence, au début de la période de trois ans dont elle ne gardait aucun souvenir, son corps avait subi une altération plus importante qu’il n’y pouvait paraître de prime abord. Son être s’était retrouvé modifié en d’autres domaines que ceux de ses sens aiguisés du goût, de l’odorat, de l’ouïe et de la vision, et même que de l’ajout des sondes digitales dissimulées sous ses ongles : ces inserts de polymères qui suscitaient désormais un indéniable engouement au sein des classes aisées innovatrices. (Elle faisait tout son possible pour les dissimuler, car les parents d’Ellen Troy étaient censés avoir appartenu à un milieu modeste.)

Ces interventions avaient laissé des marques à l’intérieur de son corps, des stigmates révélés à l’occasion de certains examens médicaux. Elle échafauda une explication plausible, ce qui fut relativement aisé – mais elle eut des difficultés à apprendre à contrôler certains de ses pouvoirs extraordinaires, connus ou inattendus, et d’autres encore qui se manifestaient aux moments les plus inopportuns. Dans la majeure partie des cas, elle ne goûtait plus ce qu’elle ne souhaitait pas goûter, n’entendait plus ce qu’elle ne désirait pas entendre, ne voyait plus ce qu’elle refusait de voir… lorsqu’elle était consciente de l’apparition de ces phénomènes, tout au moins… mais il lui arrivait encore d’être parfois submergée par des sensations et des besoins qu’elle ne parvenait pas à analyser pleinement.

Entre-temps, elle continuait de vivre et de travailler normalement. Une année s’écoula, puis une autre. Par une matinée chaude et humide du mois d’août, Sparta se pencha sur les piles de papiers posés sur son bureau, des copies de documents et d’articles déjà lus maintes fois. Aucune de ces informations n’était confidentielle, on ne trouvait que des textes mis à la disposition du grand public : les comptes rendus des balbutiements innocents du projet SPARTA. L’un d’eux débutait en ces termes :

 

Proposition soumise au Ministère de l’Éducation des États-Unis pour un projet de développement des intelligences multiples.

 

Introduction

 

On a fréquemment suggéré que le cerveau de l’être humain possédait des capacités d’assimilation et un potentiel d’expansion inexploités – chez la plupart des individus, à l’exception de la petite minorité de ceux que nous qualifions de « génies ». Des programmes éducatifs ayant pour but le développement de ce potentiel chez l’enfant ont été fréquemment proposés. Jamais avant ce jour, cependant, des méthodes de stimulation de la croissance intellectuelle n’avaient été définies avec précision, et encore moins appliquées et soumises à un contrôle rigoureux. Presque toujours, les affirmations visant à soutenir le contraire ne se sont pas avérées et, dans le meilleur des cas, les vérifications n’ont guère été probantes.

Il convient avant tout de faire table rase de l’opinion selon laquelle l’intelligence serait un trait de caractère unique, quantifiable, transmissible ou même génétique – un point de vue conforté par l’utilisation intensive des tests d’évaluation du quotient intellectuel (QI), tant dans le cadre de la scolarité que par la suite. L’emploi de telles méthodes, depuis longtemps discréditées, peut seulement s’expliquer par le besoin des administrateurs de disposer d’un système de classification pratique (qui entraîne la réalisation de ses propres prédictions) sur lequel baser la répartition de ressources limitées. Cette référence constante au QI a freiné la mise à l’essai d’autres théories.

Les auteurs de cette proposition entendent démontrer que le génie unidimensionnel est un leurre, que chaque être humain possède de nombreuses intelligences, et que plusieurs de ces intelligences… pour ne pas dire toutes… peuvent être alimentées et développées sous la conduite d’enseignants ayant suivi une formation appropriée…

 

Émondé de son jargon académique, ce document… une ébauche de projet rejetée par le gouvernement auquel elle avait été soumise quelques années avant la naissance de Sparta… résumait assez précisément ce que ses parents s’étaient proposé d’entreprendre.

Il s’agissait de deux scientifiques immigrés, des chercheurs hongrois qui s’intéressaient tout particulièrement au développement du potentiel de l’être humain. Pour eux, les tests de QI n’avaient aucun sens et ils assimilaient leurs résultats à un label de qualité qui assurait le salut d’un petit nombre d’élus et la condamnation des autres, en offrant en outre des arguments aux partisans des thèses racistes. Ils jugeaient plus pernicieuse encore l’idée selon laquelle la chose mystérieuse que l’on appelait le QI n’était pas seulement héréditaire mais immuable et que tous les efforts déployés pendant la croissance d’un enfant ne pouvaient permettre d’accroître quantitativement cette substance mentale magique, si ce n’est de façon insignifiante.

Les parents de Sparta avaient eu l’intention de démontrer le contraire. Mais, en dépit de leur rhétorique révolutionnaire, le public et les organismes chargés d’accorder des subventions trouvaient leurs concepts de réussite par l’effort quelque peu démodés, et plusieurs années s’écoulèrent avant qu’un soutien ne se manifestât sous la forme d’une modeste contribution de la part d’un donateur anonyme. Ainsi que l’exigeaient de telles convictions, leur premier cobaye fut leur propre fille. Elle s’appelait encore Linda, à l’époque.

Peu après, l’État de New York et la Fondation Ford leur apportèrent une aide financière. Le projet SPARTA reçut alors son nom et l’équipe fut grossie de quelques chercheurs et étudiants. Après deux ans d’existence officielle, ces travaux firent l’objet d’une communication dans la rubrique scientifique du New York Times.

 

Hausse sur le Renard, le Hérisson à la baisse

 

Les psychologues de la New School for Social Research espèrent mettre un terme à une controverse qui trouve ses origines sept siècles avant J.-C., lorsque le poète grec Archiloque tint ces propos énigmatiques : « Le renard connaît un grand nombre de choses, mais ce que sait le hérisson est bien plus important. » Cette déclaration symbolise désormais le débat opposant ceux qui estiment qu’il existe diverses formes d’intelligence… linguistique, corporelle, mathématique, sociale, etc. et les tenants de l’intelligence monolithique révélée par un QI insensible aux changements et d’origine probablement génétique.

Une nouvelle preuve fournie par la New School semble désormais faire pencher la balance en faveur du renard…

 

D’autres articles et anecdotes, dans un nombre de médias toujours croissant, mettaient en vedette le projet SPARTA. La petite fille qui était son premier et, pour un temps, son unique cobaye, devint rapidement célèbre – une étoile mystérieuse que ses parents dissimulaient au public. On ne trouvait pas la moindre photographie d’elle dans les coupures de journaux et de revues jonchant son bureau. Puis, finalement, le gouvernement territorial des U.S.A. avait manifesté de l’intérêt pour ce projet…

— Ellen, vous me cachez quelque chose. Sparta leva les yeux sur le large visage brun qui venait de se matérialiser devant elle. La femme corpulente ne souriait pas mais son expression accusatrice dissimulait mal un certain amusement.

— De quoi voulez-vous parler, chef ?

Son interlocutrice carra son corps volumineux dans l’autre fauteuil.

— Respectons l’ordre chronologique, Ellen. Vous avez à nouveau postulé pour vous soustraire à ma coupe. Croyez-vous que Sœur Arlène puisse ignorer ce qui se passe dans son propre service ?

Sparta secoua la tête avec vigueur.

— Je n’ai rien dissimulé. Je n’ai jamais caché mon désir de ne pas finir mes jours derrière ce bureau. Depuis deux ans, aussi souvent que les règlements internes m’y autorisent, je propose ma candidature.

Le bureau en question était identique aux quarante-neuf autres de la section de traitement des informations du Service des renseignements du Bureau du Contrôle Spatial qu’abritait un immeuble de brique rose et de verre bleuté surplombant Union Square, dans Manhattan.

Son chef, Arlène Diaz, en était la directrice.

— Il est rare qu’une personne ayant subi autant d’interventions chirurgicales que vous souhaite abandonner une place de tout repos pour aller travailler sur le terrain. Alors, pourquoi déposez-vous ces demandes de transfert, Ellen : Pourquoi voulez-vous aller là-bas ?

— Parce que j’espère qu’un de mes supérieurs fera preuve d’un peu de bon sens, voilà tout. Je veux être jugée selon mes capacités, Arlène, pas en fonction de ce que des scanners peuvent révéler sur ma personne.

L’autre femme libéra lentement un soupir.

— En vérité, les superviseurs sont très sensibles à la perfection physique.

— Je ne vois sincèrement pas ce que mon cas peut avoir d’extraordinaire, Arlène, fit Sparta en permettant à son sang d’empourprer ses joues. Quand j’avais seize ans, un chauffard ivre m’a écrasée avec mon scooter contre un réverbère. D’accord, la bécane était en bouillie. Mais les chirurgiens ont pu me remettre en état – tous ces détails sont mentionnés dans mon dossier, à la disposition de quiconque souhaite le consulter.

— Vous devez admettre qu’ils vous ont rafistolée de façon assez peu orthodoxe, Ellen. Avec tous ces rajouts, ces câbles et ces vides… (Arlène fit une pause.) Je regrette. Vous l’ignoriez, mais lorsqu’un membre du personnel sollicite son transfert il est d’usage que ses supérieurs compulsent son dossier. J’avoue avoir été intriguée par vos scanners. Et ce n’était pas la première fois.

— Ces toubibs ont fait leur maximum.

Sparta semblait embarrassée, comme si elle souhaitait les justifier.

Il s’agissait de grands patrons, au niveau local.

— Je dois admettre qu’ils ont fait du bon travail. Ce n’était pas la Clinique Mayo, mais ils ont su se montrer efficaces.

— C’est votre opinion…

Sparta étudia la femme en incurvant les sourcils, brusquement suspicieuse.

— Mais qu’en pensent les autres ?

Constatant qu’Arlène ne répondait rien, Sparta permit à ses lèvres de s’incurver légèrement.

— C’est vous qui me cachez quelque chose. Arlène lui retourna son sourire.

— Félicitations, Ellen. Vous nous manquerez.

 

*

 

Tout ne fut pas aussi aisé.

Elle dut passer de nouveaux examens médicaux, réapprendre des mensonges et créer de toutes pièces les documents électroniques qui serviraient à les étayer.

Puis vint le plus difficile. Les six mois de formation d’un investigateur du Bureau spatial étaient aussi intensifs et rigoureux que ceux d’un astronaute. Sparta était intelligente et rapide. Elle possédait une coordination parfaite de ses mouvements et pouvait stocker dans son cerveau bien plus de connaissances que ses instructeurs n’avaient à lui en fournir (une capacité qu’elle prit grand soin de ne pas révéler), mais son corps manquait de résistance et certaines des interventions qu’il avait subies pour des raisons toujours inconnues l’avaient sensibilisé à la souffrance et rendu vulnérable à la fatigue. Tout démontrait depuis le premier jour que Sparta courait le risque de ne pas pouvoir tenir jusqu’à la fin de sa formation.

Les aspirants investigateurs n’étaient pas logés dans des dortoirs. Le Bureau spatial les considérait comme des adultes libres de suivre les cours s’ils le souhaitaient et capables d’éviter de s’attirer entre-temps des ennuis ; des individus pleinement responsables. Sparta empruntait le magnéplane pour se rendre au centre d’entraînement situé dans le New Jersey chaque matin et pour regagner Manhattan le soir venu, tout en se demandant où elle puiserait le courage d’effectuer à nouveau ce périple lorsque se lèverait l’aube suivante. Si ces trajets étaient pénibles, c’était moins en raison de leur durée qu’à cause de la vision qu’ils lui imposaient : la révélation du monde dans lequel elle vivait. Manhattan était un joyau niché dans un marais, cerné par les algues et les fermes marines des fleuves qui en faisaient une île, entouré de bidonvilles hideux et de taudis croulants, enchâssé au cœur d’un immense complexe de raffineries aux fumées méphitiques qui transformaient les déchets et les ordures des habitants de la grande cité en hydrocarbures et en métaux de récupération.

Elle résista difficilement aux épreuves physiques : chocs électriques, thermiques, chimiques, lumineux et sonores ; aux G de la centrifugeuse ; à la désorientation spatiale de la cage à écureuil – des agressions violentes qui lui imposaient de puiser dans ses réserves d’énergie afin de protéger son système nerveux vulnérable. Elle s’épuisa sur les parcours d’obstacles, en suivant les cours de maniement d’armes lourdes et en participant à des compétitions sportives où sa souplesse et sa rapidité ne pouvaient compenser la force brutale des autres concurrents. Épuisée, meurtrie, les muscles en feu et les nerfs en lambeaux, elle pénétrait dans le magnéplane d’un pas titubant puis se laissait emporter au-dessus des feux et des fumées délétères des divers cercles infernaux entourant Manhattan, arrivait à destination à une heure tardive, et s’effondrait sur son lit dans le petit coprop où vivaient également trois étrangers qu’elle ne rencontrait presque jamais.

Parfois, la solitude et le découragement parvenaient à la terrasser et elle s’endormait alors en pleurant, se demandant pourquoi elle faisait tout cela et pendant combien de temps il lui serait encore possible de résister. La deuxième question était indépendante de la première. Si elle cessait de croire que le fait d’obtenir un statut d’inspectrice du Bureau spatial lui offrirait l’opportunité d’apprendre ce qu’elle devait savoir, ses belles résolutions ne tarderaient guère à s’effondrer.

Et la nuit, il y avait les rêves. Elle ne parvenait pas à trouver une méthode efficace pour exercer sur eux le moindre contrôle. Ils débutaient innocemment par des fragments d’un lointain passé : les traits de sa mère ; ou de son passé immédiat : un garçon rencontré dans la journée, un cours non préparé ou trop bien préparé. Puis ils obliquaient à l’intérieur des corridors obscurs d’un bâtiment sans fin où se trouvait un vague but qu’elle savait pouvoir atteindre à condition de découvrir le bon chemin au sein de ce labyrinthe. Elle avait alors l’impression d’être entourée d’amis tout en étant absolument seule, la certitude que le fait de parvenir à l’objectif fixé importait peu mais que la mort sanctionnerait tout échec. Puis un tourbillon de lumières colorées approchait d’elle avec lenteur, arrivant des marches de son sommeil, et un déferlement d’odeurs l’assaillaient.

 

*

 

Les aspirants étaient libres d’occuper leurs dimanches à leur guise. Sparta mettait habituellement ces pauses à profit pour aller flâner dans Manhattan, d’un côté à l’autre de l’île, de Battery au Bronx, même sous la pluie, le vent, la neige. Si elle manquait de force physique, elle possédait de l’endurance. Il lui arrivait fréquemment de parcourir quarante kilomètres dans la journée. Elle marchait, afin de libérer son esprit des pensées qui s’y ancraient, du besoin de chercher, d’échafauder des plans et d’accumuler des données. Ces instants de détente périodiques s’avéraient indispensables pour éviter la surcharge de ses circuits mentaux et leur destruction.

À l’origine, nul implant d’extensions cérébrales artificielles n’était prévu dans le cadre du projet SPARTA. Mais lorsque les services gouvernementaux avaient commencé à s’y intéresser, les méthodes s’étaient modifiées : des locaux plus importants avaient été mis à la disposition des chercheurs, dont le nombre s’était accru. Sparta, encore adolescente à l’époque, ne fut guère surprise d’être progressivement isolée de ses parents et des autres cobayes. Ils étaient tous plus jeunes qu’elle, et deux seulement approchaient de son âge. Un jour, son père la fit venir dans son bureau et lui annonça qu’elle devrait se rendre dans le Maryland pour une série de tests commandés par le gouvernement. Il lui promit qu’il irait la voir le plus fréquemment possible, avec sa mère. Il semblait extrêmement tendu et, juste avant qu’elle ne sortît de la pièce, il l’étreignit avec force, presque avec désespoir, mais il lui dit simplement :

— Au revoir. Nous t’aimons beaucoup, tu sais.

Un homme aux cheveux orange était présent, lors de cette entrevue.

Elle ne gardait toujours que des souvenirs fragmentés de ce qui avait eu lieu ensuite. Dans le Maryland, ils ne s’étaient pas contentés de lui faire passer des tests. Elle n’avait cependant que récemment déduit la majeure partie des altérations subies par son cerveau. Et elle venait seulement d’entreprendre la découverte des modifications apportées à son corps.

Sparta remontait Park Avenue, en direction de la Serre de Grand Central. C’était une journée ensoleillée et chaude du début du printemps. Le long de l’avenue, les rangées de cerisiers étaient en fleur et leurs pétales odorants voletaient tels des confettis parfumés sur l’esplanade miroitante. Elle était cernée de verre et d’acier brillants, de béton brossé et de granite rose poli. Des hélicoptères suivaient les voies aériennes tracées entre les sommets des immeubles. Des omnibus et quelques véhicules de patrouille de la police glissaient en murmurant sur la chaussée. Des magnéplanes bourdonnants filaient en suivant leurs rails juchés sur de hauts pylônes, pendant que d’antiques rames de métro repeintes de couleurs vives passaient en grondant et en crissant sous les pieds de Sparta, révélées par la transparence des plaques de verre dallant le sol.

Au début du siècle, lors de la fusion des États de l’Est pour des raisons administratives, Manhattan avait reçu le statut de Centre de démonstration fédéral – « le Parc national des Gratte-ciel », comme l’avaient baptisé les cyniques. Si l’île se trouvait cernée par des industries puantes et des faubourgs fétides, les rues de la cité modèle étaient bondées de promeneurs. Des personnes vêtues avec élégance et arborant un visage rayonnant. Dans ces vitrines de la prospérité fédérale la pauvreté était un crime, punissable de bannissement.

Sparta n’entrait pas dans la catégorie des joyeux badauds, cependant. Elle se présenterait dans deux mois à l’examen sans appel sanctionnant la fin du programme de formation. Ensuite, les épreuves physiques deviendraient moins éprouvantes et seraient remplacées par des cours académiques, mais pour l’instant elle se trouvait à la frontière de l’abandon. Il lui restait encore soixante journées épuisantes à vivre et elle se sentait incapable de mener ses projets à bon terme.

Elle approchait des jardins classiques de la 42e Rue lorsqu’elle nota qu’on la suivait et se demanda depuis combien de temps elle était prise en filature. Elle s’était volontairement déconnectée du monde extérieur, marchant dans un état proche de la transe, car autrement elle eût immédiatement remarqué cet homme. Il pouvait s’agir d’un membre de la section d’entraînement chargé de surveiller ses faits et gestes, ou encore d’une autre personne.

Tous ses sens désormais en éveil, elle s’arrêta devant l’étal d’une fleuriste pour y prendre un bouquet de jonquilles qu’elle leva vers son nez. Les fleurs n’avaient aucune fragrance particulière, mais leur simple senteur végétale entêtante explosa à l’intérieur de son cerveau. Elle lorgna entre les pétales, ferma un œil, et son regard effectua un mouvement de zoom sur lui…

Il était jeune, assez bel homme et élégant avec sa veste en polymère noir lustré. Il possédait une épaisse chevelure auburn coupée à la dernière mode et devait compter parmi ses ancêtres des Chinois et des Irlandais. Ses pommettes étaient hautes, ses yeux sombres pleins de douceur et son épiderme pointillé de taches de rousseur. Il paraissait étrangement mal à l’aise et indécis.

Ses hésitations avaient débuté dès qu’elle s’était arrêtée devant l’étal et elle crut un instant qu’il allait s’avancer pour l’aborder. Au lieu de cela, il pivota et feignit de contempler la vitrine du magasin le plus proche. Elle put constater son désarroi lorsqu’il remarqua qu’il s’agissait d’une boutique de lingerie fine où étaient exposés des dessous féminins fantaisie. La couleur de ses joues s’assortit à ses taches de rousseur.

Elle le reconnut immédiatement, bien qu’il eût beaucoup changé depuis leur dernière rencontre. Il n’avait à l’époque que seize ans et son visage était piqueté d’un plus grand nombre de points rougeâtres. Sa chevelure était également plus embrasée, autrefois. Il se nommait Blake Redfield et était son cadet d’une année ; le plus âgé de tous les autres cobayes du projet SPARTA.

Mais tout laissait supposer qu’il doutait pour sa part de son identité. Contrairement à la fille qu’elle lui rappelait, et dont la chevelure avait été longue et brune, Ellen Troy était une blonde aux cheveux courts, aux yeux bleus et aux lèvres pleines. Mais, malgré ces différences, la forme de son visage n’avait pas été modifiée et sa ressemblance avec Linda était frappante.

Fort heureusement, Blake Redfield semblait toujours aussi timoré, trop timide pour oser aborder une inconnue dans la rue.

Sparta tendit son Idcarte à la fleuriste, prit les jonquilles et repartit. Elle accorda son ouïe sur le bruit des pas de Blake, amplifiant de façon sélective les cliquetis particuliers de ses talons au sein des centaines d’autres claquements et chuintements de chaussures qui lui parvenaient de toutes parts. S’il était impératif de semer le jeune homme, elle devait faire en sorte qu’il ne pût se rendre compte qu’elle l’avait repéré. En continuant de baguenauder sans but, elle passa sous les voûtes de la Serre de Grand Central.

Lors de sa dernière visite des lieux, le paysage proposé au public se composait de sable, de roches et de plantes épineuses, avec en arrière-plan les pics contournés d’un désert, mais le thème de ce mois était tropical. De tous côtés des palmiers et des feuillus grimpaient vers le plafond, montant à la rencontre d’innombrables festons de lianes et d’orchidées. Un hologramme panoramique Eastman Kodak étendait la vision de cette jungle jusqu’à un paysage lointain de cataractes estompées par la brume.

La foule était nombreuse, à l’intérieur de la Serre, mais la plupart des gens avaient gagné la mezzanine afin d’avoir une vue plongeante sur les galeries forestières ou flânaient le long des allées du pourtour de la forêt artificielle. Elle fit une pause, puis s’avança avec nonchalance entre les arbres. L’épais tapis de feuilles couvrant le sol étouffait les cris aigus des singes et des perroquets se trouvant dans les ramures. Elle fit quelques pas dans un tunnel d’ombres vertes puis, sans seulement devoir amplifier ce son, elle entendit nettement les pas de Blake qui s’engageait à son tour sur le sentier.

Elle emprunta un étroit passage dissimulé par un paravent de lianes entremêlées aussi grosses que les tentacules d’un calmar géant. Blake marqua une hésitation, mais il obliqua à son tour et resta sur sa trace.

Nouveau changement de cap, derrière les énormes feuilles sombres et lustrées des bégonias, larges comme des oreilles d’éléphant mais moins souples et évoquant du vieux cuir desséché. Autre zigzag au sein des racines adventives d’un figuier des Banians démesuré, qui évoquaient des claustra au bois aussi clair et lisse que du travertin. Brusquement, elle atteignit la cataracte impressionnante par où l’eau se déversait dans la gorge miroitante visible en contrebas. Derrière elle, Blake progressait toujours – mais avec des hésitations de plus en plus grandes.

Le grondement de cette cascade immatérielle était moins assourdissant que celui de la chute d’eau véritable, mais le réalisme était accentué par les voiles de brume qui sortaient des pulvérisateurs installés dans les hauteurs des parois, dissimulés derrière la projection holographique. Un belvédère délimité par une rambarde rudimentaire en bambou et pour l’instant désert se juchait au sommet de la falaise de cette immense gorge dans laquelle les flots déchaînés étaient censés s’engouffrer.

Sparta s’accroupit contre un tronc d’arbre, s’interrogeant sur les possibilités qui s’offraient à elle. Elle avait espéré semer Blake Redfield dans ce décor de jungle cinématographique, mais le jeune homme ne semblait pas disposé à renoncer si facilement. Elle courut le risque de perdre sa trace et accorda son ouïe sur la fréquence des bourdonnements du système de projection holographique. Le circuit de profondeur de champ était installé dans les hauteurs de la paroi, quelques pas devant elle. Les oscillations des impulsions électriques lui fournissaient une grossière approximation de sa programmation, mais elle ne pouvait matériellement accéder à ses commandes…

Ce fut alors qu’une sensation bizarre la submergea, s’étendant de son abdomen à sa poitrine et à ses bras. Son ventre devint brûlant. Ce qu’elle éprouvait était à la fois étrange et familier. En étudiant ses propres scanners, des mois plus tôt, elle avait noté sous son diaphragme la présence de structures semblables à des voiles arachnéens et suspecté ces dernières d’être de puissantes batteries polymères, sans pouvoir pour autant se remémorer comment les utiliser ou seulement quelle était leur utilité. Brusquement, aiguillonné par les exigences de son subconscient, ce souvenir refit surface.

Elle étendit ses bras et les incurva de façon à reproduire la courbe d’une antenne, puis la concentration figea son visage. Les données se déversèrent en cascade de ses lobes frontaux et elle émit une seule impulsion en direction du cœur du microprocesseur de contrôle de la projection, pour lui transmettre ses instructions. L’hologramme fit un bond. Des tonnes d’eau churent sur elle…

Elle voyait désormais les murs de marbre poli de la vieille gare ferroviaire. Elle baissa les bras et se détendit, avant de gagner la rambarde en simili-bambou du belvédère. Ce dernier se trouvait en fait au ras du sol, à moins d’un mètre du mur. Elle découvrait au-dessus les scintillements jaunes, cyan et magenta d’une batterie de projecteurs holographiques. Elle pivota et étudia les arbres. À présent qu’elle avait pénétré à l’intérieur de l’hologramme il lui était impossible de voir la projection, mais si les instructions qu’elle venait d’émettre avaient atteint leur but, la gorge profonde devait désormais s’ouvrir à l’extrémité du sentier, à l’orée de la jungle…

Blake sortit d’entre les troncs, fit deux pas vers elle et s’immobilisa pour regarder droit dans sa direction. Puis il baissa les yeux afin de suivre la chute des flots dans les profondeurs de l’immense défilé irréel.

Sparta était adossée à la balustrade. Elle n’aurait eu qu’à faire un seul pas et à tendre la main pour caresser son visage agréable et amical, piqueté de taches de rousseur. Un paquet de chewing-gums froissé se trouvait sur le sol, entre eux, à l’emplacement où il voyait pour sa part un canyon embrumé. La lumière qui l’atteignait provenait du plafond de la Serre et l’écume blanche de l’hologramme se déversait sur lui. Rien ne les séparait, hormis l’emballage vide et cette clarté surnaturelle.

Sparta se remémora à quel point elle l’avait trouvé sympathique, autrefois, même si les garçons ne l’intéressaient guère, à l’époque… ne s’agissait-il pas d’un adolescent de seize ans empoté, alors qu’elle était pour sa part une jeune fille de dix-sept ans raffinée ?… et, de toute façon, exprimer ses sentiments les plus élémentaires n’avait jamais été son fort.

À présent, le simple fait qu’il la sût toujours en vie risquait de la conduire à sa perte. Blake repoussa ses cheveux auburn en arrière puis pivota vers la jungle, visiblement décontenancé. Sparta se baissa pour se glisser sous la rambarde, longea la paroi de marbre poli, passa à travers la chute d’eau et disparut dans un couloir bondé conduisant vers Madison Avenue.

 

*

 

Blake Redfield s’arrêta sous les arbres et lança un regard derrière lui, en direction des flots qui s’engouffraient dans la gorge. Il était devenu un pur produit du projet SPARTA… du projet SPARTA originel…, avant de recouvrer sa liberté. Nul n’avait modifié la nature de son être, seulement les conditions de son éducation. Il ne disposait pas d’une paire d’yeux-zooms ou d’oreilles capables de sélectionner les fréquences, pas d’extensions RAM à l’intérieur de son crâne ou de sondes digitales sous ses ongles, nulle batterie dans son ventre ni antenne lovée autour de ses os.

Mais il possédait lui aussi une intelligence multiple, assez vive pour lui permettre d’identifier immédiatement Linda et lui faire prendre aussitôt conscience qu’elle ne souhaitait pas être reconnue. Et sa curiosité était suffisamment grande pour l’inciter à s’interroger sur ses motivations. Ne l’avait-il pas crue morte, après tout ?…

C’était pour cette raison qu’il avait décidé de la suivre, jusqu’à sa disparition. Il ignorait comment elle venait de procéder pour se soustraire à sa filature, mais il savait qu’elle l’avait fui à dessein.

S’il s’était fréquemment demandé quel sort avait pu connaître Linda, il se demandait à présent s’il lui serait difficile de retrouver sa trace.

 

Point de rupture
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